Le calvaire des ménages à la recherche du loyer
« La situation difficile pour les ménages, induite par la cherté des loyers, fait qu’il devient nécessaire, afin de préserver l’ordre public, de procéder à une diminution des taux des loyers en terme de pourcentage. Ceci permettra aux sénégalais pour qui la méthode d’évaluation basée sur la surface corrigée est difficile à mettre en œuvre, de pouvoir profiter des baisses induites par la modification des textes régissant la matière », faisait remarquer le projet de loi N° 04/2014 portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés sur la surface corrigée.
Défendu par Alioune Sarr, ministre du commerce d’alors dans le gouvernement d’Aminata Touré, le projet de loi a été adopté par l’assemblée nationale le mercredi 15 Janvier 2014 suivant la procédure d’urgence, avant d’être par la suite promulgué par le président de la République. Mais quelques années après son entrée en vigueur, le constat est resté unanime, le prix du loyer a fortement grimpé à Dakar. Une situation déplorable qui plonge certains locataires dans la tourmente.
« C’est très difficile vraiment pour un père de famille qui n’a même pas un salaire de cent mille francs. Les bailleurs ne respectent pas la loi. Et le gouvernement n’a fait aucun suivi par rapport à la loi. Ce qui fait que les bailleurs font ce que bon leur semble. Auparavant je payais vingt-sept mille pour la chambre que j’occupais aux Parcelles assainies. C’était avant l’entrée en vigueur de la loi. Mais après sa promulgation, j’ai eu une réduction de huit mille cinq cent ce qui fait que le loyer à payer est de dix-huit mille cinq cent », confie Mourtala Ndiaye, locataire de son état.
Même son de cloche chez Tahirou Ousmane. Ce jeune ressortissant nigérien qui est à la recherche d’un loyer à Dakar raconte son calvaire quotidien. Pour ce dernier, en plus de la cherté du loyer, le produit reste pratiquement introuvable.
« Depuis quatre jours je ne travaille pas parce que je cours derrière les courtiers pour trouver un logement. Toutes les chambres qu’on m’a montrées sont à cinquante mille francs alors que mon budget ne dépasse pas trente mille. C’est un véritable casse-tête. Je pense que si l’État du Sénégal avait pris les précautions nécessaires, on n’en serait pas là aujourd’hui. C’est très difficile pour s’en sortir, surtout si l’on n’a pas un travail décent », se lamente-t-il. Un calvaire dont la fin n’est pas proche. Les bailleurs semblent décider à en faire voir de toutes les couleurs aux locataires.
La nouvelle stratégie des bailleurs pour contourner la loi et augmenter les tarifs
Afin de contourner la loi portant sur la baisse du loyer, les bailleurs ont adopté une nouvelle stratégie. Il s’agit de faire sortir ses locataires pour soi- disant réfectionner le local et après augmenter les prix.
« Mon bailleur m’a fait sortir sous prétexte qu’il doit réfectionner la maison. Quelques jours après je suis revenu, mais il m’a fait savoir que maintenant je dois payer quarante mille francs pour la chambre et la salle de bain. Alors que je payais dix-huit mille cinq cent avec l’entrée en vigueur de la loi sur la baisse du loyer. Les bailleurs ne respectent même pas la loi. Et que le gouvernement n'a mis en place aucune mesure d’accompagnement », déplore Mourtala Ndiaye, ouvrier de son état.
La caution de quatre mois l’autre paire de manches!
En plus de la cherté du loyer, et de l’indisponibilité des logements, les ménages font face à la lancinante question de la caution qui revêt maintenant un véritable casse-tête pour les locataires.
« Actuellement, il faut débourser trois à quatre mois de caution pour disposer d’un local. Parce que tu vois souvent un locataire qui prend un appartement alors qu’il ne peut pas s’acquitter de la mensualité, mais juste il veut y rester pour une durée d’un à deux mois avant de partir sans avertir son bailleur. C’est pourquoi les bailleurs durcissent les conditions d’acquisition. Maintenant si le bailleur demande une caution de deux mois, les courtiers en ajoutent un troisième mois de rançon. Et si le bailleur demande une caution de trois mois alors, les courtiers en ajoutent un quatrième mois de caution », tente d’expliquer Talla Thiam, un agent immobilier. Mais pour Talla Thiam, si la loi était bien concertée, toutes ses difficultés pouvaient être évitées pour les locataires.
« Le loyer est cher parce que d’abord la demande est supérieure à l’offre. L’autre chose qui a aggravé la situation, c’est la loi. Elle n’a pas été bien réfléchie. Parce qu’on n’a pas impliqué les bailleurs et les acteurs du secteur du courtage et le problème actuel, il faut débourser pas de moins de cent cinquante mille francs pour un appartement de deux chambres salon », a souligné l’agent immobilier.
Et les prix varient selon les zones. Les chambres et appartements qui se trouvent dans les quartiers huppés sont aujourd’hui devenus intouchables. Pour un studio de deux pièces, il faut débourser pas moins de 200 000 francs. Ce qui est presque indécent.
Les appartements meublés, l’autre phénomène qui bouleverse la tendance
La mise en place des appartements meublés fait partie des facteurs explicatifs de la situation de la cherté du loyer à Dakar. Pour Talla Thiam, la tendance actuelle, c’est que certains bailleurs préfèrent transformer leurs maisons en appartement meublé. Là, le business est plus fructueux.
« Parce souvent tu vois un groupe de jeunes qui se cotisent pour louer un appartement à quinze mille voire vingt mille francs la journée. Si tu fais le total, les bailleurs gagnent plus avec les appartements meublés qu’avec la location pour habitation. Par exemple, la chambre meublée et la salle de bain reviennent à dix mille francs pour la journée. Et l’appartement meublé c’est à vingt-cinq mille et si c’est un studio c’est à quinze mille francs si vous faites le cumul vous verrez que les appartements meublés génèrent plus de que la location mensuelle. On en trouve maintenant un peu partout à Dakar surtout à Ouest Foire, Diamalaye, Nord Foire, Parcelles Assainies et Cité Alioune Sow. C’est un facteur aggravant qui mérite des solutions urgentes », a renseigné l’agent immobilier.
Mais pour résoudre le problème lié à la cherté du loyer, le promoteur immobilier Issa Ka plaide pour un désengorgement de la capitale Dakar et invite le gouvernement à faciliter l’accès au logement à travers une mise à disposition de cités d’habitation à des coûts favorables à toutes les couches.
L’État perdu dans sa politique de 100 mille logements
Afin de relever les défis liés à la cherté de loyer à Dakar, le gouvernement du Sénégal s’est résolument engagé, à travers une série de mesures, à réformer le secteur de l’urbanisme et de l’habitat de manière à mieux prendre en charge les besoins croissants des populations. Ce qui traduit la mise en œuvre du programme de cent mille logements. Ce programme constitue un des projets prioritaires du gouvernement en vue de satisfaire la demande croissante de logements et des services urbains.
À travers la mise en œuvre de ce projet, le gouvernement manifeste sa volonté d’agir à la fois sur les performances climatiques, économiques et sociales des villes avec l’amélioration de l’offre, des conditions d’accès au logement et l’amélioration de l’habitat, un enjeu de durabilité urbaine. Mais reste à voir si ce programme pourra vraiment régler les défis actuels liés à la cherté du logement à Dakar.
Les bailleurs sous pression bancaire
« La location est une forme de fonds de commerce pour certains bailleurs. Beaucoup de bailleurs vont emprunter des fonds à la banque pour construire leur maison. C'est pourquoi souvent ils ont tendance à augmenter les prix vaille que vaille vu la pression qu’ils subissent face aux banques. Mais c’est l’Etat qui devrait prendre ses responsabilités pour assurer l’exécution de la loi dans toutes ses formes sur le terrain.
En plus de cela, rendre accessible le logement à des coûts pour toutes les couches. L’autre solution qui pourrait aussi aider à la diminution du loyer à Dakar, c’est de désengorger la capitale Dakar. Il faut que les usagers acceptent aussi d’aller vers des quartiers comme Tivaouane Peulh, Keur Massar ou Zac Mbao. Parce que tout le monde ne peut pas disposer d’un local à Dakar », a proposé l’agent immobilier Issa Ka.
Oumar Diallo (Directeur du commerce intérieur) : « Les difficultés sont liées au contrôle des services des impôts et domaines sur le terrain »
Interpellé sur les violations flagrantes de cette loi, les services du ministère du commerce par le biais de la direction du commerce extérieur se dessaisissent des manquements liés à l’application de cette loi pourtant défendu par le ministère du commerce d’alors, avec Alioune Sarr devant le parlement sénégalais.
Selon le directeur du commerce extérieur M. Oumar Diallo, la question du contrôle relève du service des domaines et du cadastre. Toutefois, précisera toujours le directeur du commerce intérieur, « aujourd’hui on ne peut plus parler de cette loi-là, parce l’ensemble des contrats ont été faits sur la base de la surface corrigée ».
« Le ministère du commerce participe à l’application de cette loi. Maintenant tout ce qui est du contrôle, relève des bureaux de contrôle du loyer au niveau du service des domaines et du cadastre. C’est eux qui doivent se charger du contrôle du loyer. Maintenant en ce qui concerne l’application de la loi, elle avait un but très précis. C’était de régler les loyers qui avaient été fixés sans surface corrigée. Donc la loi avait une durée de vie très courte par rapport aux contrats fixés par rapport à la surface corrigée. Donc aujourd’hui on ne peut plus parler de cette loi-là, parce l’ensemble des contrats ont été faits sur la base de surface corrigée.
À partir de 2016, nous avons constaté que les bailleurs même ont fini de contourner cette loi parce que tout simplement ils sont tous allés chercher des surfaces corrigées et lorsqu’ils l’ont fait, les nouveaux taux du loyer en application des dispositions de la surface corrigée, sont devenus plus chers que ce qui même était déjà fait. C'est un premier problème. Deuxième chose des difficultés d’application de cette loi, c’est que le contrôle du loyer qui existe au niveau des services des impôts et domaines ne fonctionne pas du tout. C’est pourquoi avant d'interpeller le ministère du commerce, il faut aller au niveau des services compétents qui doivent faire le contrôle du loyer. Parce que la loi dit que le contrôle du loyer doit être fait par les bureaux de contrôle des inspecteurs des domaines et des impôts », a précisé Oumar Diallo.
La balle est renvoyée aux services des impôts et domaines qui la saisissent pour se défendre. Pour l’occasion, c’est Abdou Ben Sambou, directeur adjoint des domaines, qui se prête à l’exercice.
Abdou Ben Sambou DGA des domaines : « On n’a pas les effectifs requis pour faire le contrôle nécessaire »
Pour ce dernier, les bureaux de contrôle veillent toujours au contrôle. Cependant, il y a un souci. « S’agissant des bureaux de la vérification des valeurs locatives, suite à la décision prise par le président de la république de réguler le secteur de la location dans Dakar, effectivement les textes prévoient l’évaluation cadastrale effectuée par la DGID, notamment les bureaux du cadastre qui sont compétents pour l’évaluation de la surface corrigée afin de déterminer la soutenable valeur.
Cette décision tient compte d’abord du lieu parce que les Almadies et Khar Yalla, vous voyez déjà la différence des surfaces du bâti. Il y a un certain nombre de critères techniques sur lesquels on se fonde pour déterminer le prix du loyer. Quand les bureaux de contrôle sont requis, ils vont sur place, mais vous pouvez imaginer aisément qu’ils ne peuvent pas intervenir sur tous les immeubles qui se trouvent dans Dakar. Je pense que l’ANSD avait recensé plus de quatre cent à neuf cent mille propriétaires à Dakar. Imaginez-vous le volume de travail que cela représente. Mais je peux vous affirmer que dès qu’ils sont requis, s’ils sont disponibles, ils y vont. Cependant aller répondre à des requêtes individuelles, cela paraît être très difficile compte tenu des ressources humaines limitées », se défend Abdou Ben Sambou. A l’en croire, la DGID compte 1400 agents (impôts, domaine, cadastre y compris).
Selon le directeur général adjoint des Domaines, « le bât blesse au niveau de l’appropriation de la loi ». « Car vous n’êtes pas sans savoir que toute loi, si les personnes à qui elle s’applique ne se l’approprient pas, il y aura un phénomène de rejet. Et quand il y a ce phénomène de rejet, l’État est obligé de courir après et c’est là où se trouve la difficulté », tente-t-il d’expliquer.
Autrement dit, un début de solution n’est pas à l’horizon. Pendant ce temps, les locataires sont abandonnés à leur sort au moment où les bailleurs mènent la danse…
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