Monsieur le Directeur général, l’Etat du Sénégal a créé la Haute Autorité du Waqf (Haw). Pouvez-vous revenir sur le cadre institutionnel et organisationnel ainsi que ses missions ?
Le gouvernement du Sénégal, à travers sa politique de lutte contre la pauvreté, la réduction des inégalités sociales, a ainsi exprimé sa volonté de promouvoir et de développer la finance islamique y compris la finance sociale islamique, et donc, a jugé nécessaire de promouvoir le Waqf au Sénégal en tant qu’outil de développement qui a montré son efficacité à travers le monde arabo-musulman.
Ainsi, la Haute Autorité du Waqf (Haw) est créée par la loi nº 2015-11 du 06 mai 2015 relative au Waqf, et par le décret nº 2016-449 du 04 avril 2016 fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Haute Autorité du Waqf. C’est une autorité administrative indépendante qui dispose de l’autonomie financière et de gestion.
La Haw est gérée par une direction générale placée sous la supervision d’une Commission dotée de compétences étendues en matière budgétaire, d’investissement, d’orientation et de contrôle.
Avec le décret n° 2019-910 du 15 mai 2019 portant répartition des services de l'Etat, la Haw est désormais rattachée au Secrétariat général du Gouvernement (Sgg).
Elle a trois missions principales. C’est d’abord de développer et d’administrer les Waqf publics et mixtes, ensuite de contrôler et de superviser les Waqf de famille et d’intérêt public et enfin, de promouvoir le développement des Waqf.
La finalité derrière son institutionnalisation consiste à trouver des sources de financement stables et permanentes pour subvenir aux besoins sociaux et économiques des couches vulnérables. Le Waqf vise aussi et surtout à consolider les valeurs de solidarité entre les différentes composantes de la société, afin de permettre au fidèle musulman de gagner la bénédiction de Dieu et ultimement sa place au Paradis.
Quels sont les enjeux liés à la loi et l’institutionnalisation du Waqf au Sénégal ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que notre pays a connu par le passé de grandes personnalités qui ont investis leurs biens dans le Waqf. C’est le cas de Serigne Mourtada Mbacké qui avait créé les instituts Al Azar pour l’enseignement islamique, classifiés au regard de loi comme un Waqf directs, car profitant directement à une catégorie de la communauté. Afin d’assurer une autonomie dans le fonctionnement de ces écoles, l’illustre fils du fondateur de la Muridiyya avait également mis en place une société de transport et des boulangeries, qui sont des Waqf indirects.
Plus loin encore, au début du siècle dernier, un traitant Saint-louisien du nom de Hamet Gora Diop avait, de son vivant, légué aux personnes vulnérables de sa ville un Waqf direct (Minbar), composé d’une mosquée, de logements sociaux gratuits pour les occupants, ainsi qu’un Waqf indirect (Ndeyou Minbar) portant sur un immeuble locatif pour prendre en charge le fonctionnement de Minbar. Les donations ont été formalisées auprès de Maitre Guillabert en 1907 et les Waqf sont, encore aujourd’hui, préservés par ces descendants.
D’autres formes de Waqf ont été identifiées dans la communauté Lébou de Dakar, dont les alleux réservaient dans leurs concessions des logements dédiés aux « dokhadeem » ou des hôtes plus fréquents. Ces logements étaient exclus du patrimoine en héritage à leurs décès.
Cependant, ces réussites parmi d’autre cachent beaucoup d’échecs liés à des héritiers qui dénoncent la qualité de Waqf des biens désignés par le constituant ou des gestionnaires qui en dévoient l’objet.
Partant de ces constats et du rôle majeur du Waqf dans le monde arabo-musulman comme vecteur d’inclusion socio-économique pour les couches vulnérables, l’Etat du Sénégal a choisi de promouvoir le Waqf dans notre pays. La vision stratégique du Président de la République Macky Sall a été de doter le Sénégal dès 2015 d’une loi qui assure une sécurité juridique aux vœux des constituants de biens Waqf. Une première en Afrique subsaharienne. Dorénavant, tout constituant de bien Waqf peux procéder à la formalisation de sa donation auprès d’un notaire. La Haute Autorité du Waqf est garante du respect des vœux du constituant, au regard des missions de contrôle et de supervision qui lui sont assignées par la loi relative au Waqf.
En définitive, l’institutionnalisation du Waqf au Sénégal vise à protéger les vœux du constituant, de son vivant comme après son décès, mais également à renforcer le dispositif de solidarité nationale.
Pour la plupart des Sénégalais, le Waqf reste encore nouveau. Que signifie concrètement ce concept ? Comment constituer le Waqf et quelles en sont ses différentes formes et caractéristiques ?
Le Waqf est l’immobilisation d’un actif et l’affectation de son usufruit à des œuvres de bienfaisance publique ou privée. Il s’agit d’une aumône volontaire à utilité perpétuelle autrement appelée (sadakha jaariya). Plus simplement, le Waqf peut être considéré comme une fondation de type islamique.
C’est une définition qui comporte plusieurs implications. D’abord, le constituant du Waqf est une personne physique ou morale propriétaire du bien licite. Ensuite, le bénéficiaire est toute personne physique ou morale capable de recevoir l’usufruit du bien Waqf. Enfin, le bien constitué en Waqf peut être un actif mobilier, immobilier ou monétaire/financier.
Toujours est-il que le bien légué par le citoyen sous le statut du Waqf devient inaliénable : il ne peut être vendu à quiconque, que ce soit par le propriétaire, ses héritiers ou l’Etat ; il ne peut être repris, ou être partiellement réservé au donateur. Le Waqf une fois constitué devient irrévocable, c’est à dire que le constituant ne peut se rétracter et les héritiers du donateur ne peuvent non plus remettre en cause le bien constitué Waqf.
En outre, le Waqf est généralement perpétuel dans le but d’assurer la régularité et la durabilité des services offerts aux bénéficiaires, et à la société (génération actuelle et future), mais il peut aussi être constitué pour une période donnée.
Par ailleurs, le constituant du Waqf tout comme le bénéficiaire peut être musulman ou non musulman. De même que le Waqf intervient dans tous les secteurs vitaux (éducation, santé, agriculture, autonomisation et infrastructures).
Cela nous permet de rappeler qu’il y a quatre types de Waqf : public, privé ou de famille, mixte ou d’intérêt public.
La constitution d’un Waqf se fait par une personne physique ou morale ayant un objet licite, propriétaire du bien. Quant à la formalisation, elle dépend de l’initiateur. Ainsi, les Waqf créés par l’Etat ou ses démembrements se font par décret. Les autres types de Waqf sont établis par acte notarié ou acte sous seing privé déposé au rang des minutes d’un notaire avec reconnaissance d’écritures et de signatures. En plus de l’acte notarié, les Waqf immobiliers sont inscrits au livre foncier.
Quels sont les droits et obligations du constituant du Waqf ? Qu’en est-il pour le bénéficiaire ? Existe-t-il des clauses de nullité du Waqf ? D’abord, il faut retenir que le constituant doit désigner le bénéficiaire ou l’œuvre devant bénéficier de la jouissance du bien Waqf, lorsqu’il s’agit d’un Waqf privé ou de famille. Cependant, lorsque le bénéficiaire de ce Waqf n’est pas désigné, le bien devient un Waqf public de plein droit.
Ensuite, le constituant n’est pas tenu à la garantie d’éviction du bien constitué Waqf, ni à la garantie de ses vices rédhibitoires vis-à-vis du bénéficiaire. Toutefois, il est tenu responsable de tout acte intentionnel ou faute grave qu’il commet et qui a causé un dommage au bien constitué Waqf.
En ce qui concerne le bénéficiaire, il peut être déterminé par sa personne ou par sa qualité au moment, ou après la constitution du Waqf. Son acceptation doit être exprimée de manière expresse ou tacite dans les conditions définies pour l’entrée en possession, par la présente loi.
En outre, le bénéficiaire est en droit de se servir du bien constitué Waqf et de l’exploiter suivant la stipulation du Waqf, et ce dans le respect des finalités du Waqf. Il peut également jouir lui-même du bien ou en céder le droit de jouissance aux tiers, à moins que le droit au Waqf ne soit exclusif à sa personne. Néanmoins, si le Waqf porte sur un immeuble, le bénéficiaire peut jouir de tous les droits affectés à l’immeuble et de tout accessoire qui s’y unit et s’y incorpore. Il a aussi la possibilité d’affecter des droits réels à l’immeuble, lui procurant une plus-value.
Il a par ailleurs, l’obligation de veiller à la conservation du bien constitué Waqf en bon père de famille. Par conséquent, il est responsable des dommages causés au bien par sa faute, sa négligence ou son imprudence, mais aussi de ses manquements aux obligations de la garde.
Dans un contexte sécuritaire marqué par des risques de blanchiment des capitaux, comment s’assurer de la licéité des fonds et biens cédés à la Haw?
Il convient de rappeler que la Haute Autorité du Waqf est une autorité administrative indépendante rattachée au Secrétariat général du Gouvernement du Sénégal, qui par ailleurs, est partie prenante à toutes les organisations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, notamment le Groupe d’action financière (Gafi), le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (Giaba) et la Cellule nationale de traitement de l’information financière (Centif). Cette dernière occupe une place centrale dans le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (Lbc/Ft) et la Haw qui peut recevoir des subventions d’autres organismes ainsi que des dons et legs est assujetti au contrôle et à la supervision de la Centif.
Par ailleurs, la Haw est soumise à un contrôle de conformité des principes qui gouvernent le Waqf à travers un Conseil de conformité chariatique.
Mais au-delà des assurances quant à la licéité des donations en faveur des projets Waqf gérés par la Haw, il importe de préciser que l’institutionnalisation du Waqf dans notre pays devrait être analysé comme une réponse supplémentaire dans le dispositif de Lbc/Ft. En effet, cette option de l’Etat du Sénégal à travers : la formalisation du Waqf auprès d’un notaire, le contrôle et la supervision assuré par la Haw, la vulgarisation du Waqf auprès des fondations comme instrument d’autonomisation participe à assainir un secteur important, tout en veillant à intégrer davantage d’acteurs de la solidarité.
Dans votre plan d’actions prioritaires, il est envisagé de mener des actions de sensibilisation et d’information de masse. Pouvez-vous décliner les grands axes de ce programme et le public cible ?
Les années précédentes, notamment 2020 et 2021 étaient marquées par la pandémie Covid 19 et ses conséquences, ce qui n’a pas permis de consolider les avancées dans le domaine de la communication. Ainsi, il a été nécessaire pour la gestion 2022 d’intensifier la sensibilisation et la communication.
A cet égard, la Haute Autorité du Waqf a eu à animer des ateliers de sensibilisation et d’échanges sur le Waqf à l’endroit, notamment des imams et prédicateurs, des quatorze Agences régionales de développement (Ard) en relation avec l’Adm et organiser un colloque scientifique sur le Waqf en collaboration avec l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar sur le thème : « Le Waqf au Sénégal : opportunités d’une croissance inclusive et d’un développement durable ».
Au titre du second semestre 2022, un atelier de sensibilisation sur le Waqf a été déjà organisé à l’endroit des agents du Ministère chargé des Finances, du Ministère de l’Economie et des ministères sectoriels. Cet atelier avait pour objectif de renforcer les capacités en matière de Waqf des agents de ces ministères impliqués dans la structuration de projets du Pse, afin de leur permettre de jouer leur partition pour le développement du Waqf au Sénégal.
Il est également prévu d’organiser une série d’ateliers notamment :
avec les notaires, le 26 juillet 2022, car la loi sur le Waqf prévoient que les actes de constitution des Waqf autres que publics doivent se faire sous forme d’acte notarié ou d’acte sous seing privé enregistrés au rang des minutes du notaire ; avec les juges aussi , le 11 août 2022, du fait que le bien objet du Waqf est dans le champ du commerce juridique et, à ce titre, il peut faire naître des contestations et ainsi donner lieu à des contentieux que les tribunaux seraient amenés à connaître ; Il en sera ainsi avec le Conseil économique social et environnemental (Cese), le 26 août 2022 ; et avec l’Assemblée nationale, le 8 septembre 2022.En effet, il est important de sensibiliser les députés de la prochaine législature sur le Waqf en vue de faciliter l’adoption de la loi sur le Waqf qui est en cours de révision ; enfin un atelier avec la fédération nationale des Daaras et maitres coraniques ainsi que les familles religieuses pour une vulgarisation de masse à l’endroit d’acteurs de l’éducation religieuse des populations est également prévu.
L’objectif visé à travers ces activités de communication sur le Waqf est d’abord de permettre aux populations et entreprises de mieux appréhender les enjeux socio-économiques liés au Waqf, et de prendre conscience de leur rôle pour le succès de cet instrument dans notre pays, et ensuite de permettre à la HAW de jouer le rôle de pionnier dans la sous-région.
Il faut également préciser que ce plan de communication cible également d’autre catégories socio-professionnelles à savoir : les journalistes économiques, les élus locaux, le secteur privé, la société civile, les communicateurs traditionnels et les leaders d’opinion.
Certains acteurs de l’écosystème proposent plutôt des stratégies d’investissements durables et rentables pour une viabilité du Waqf. Pensez-vous à intégrer cet aspect ?
Ce qu’il faut savoir c’est que les institutions en charge des Waqf sont considérées comme des investisseurs. Par conséquent, l’importance du Waqf dans l’économie s’apprécie en termes de volume d’actifs contrôlés par les Waqf, de leurs dépenses sociales, du nombre de personnes qu’elles emploient, ainsi que de leur contribution significative au développement économique.
C’est pourquoi cet aspect a été intégré dès l’institutionnalisation du Waqf dans notre pays. En effet, la Haw est un investisseur public en matière de Waqf. Elle assure cette fonction pour le compte de l’Etat du Sénégal. A ce titre, la Haw gère plusieurs projets parmi lesquels le Waqf immobilier Daara moderne au centre-ville de Dakar composante du Programme d’appui pour la modernisation des Daara (Pamod), le projet Waqf immobilier à usage mixte de Diamniadio pour la prise en charge des enfants en situation de vulnérabilité, le projet Waqf immobilier de bureau au centre-ville de Dakar pour les cantines scolaires, le projet de construction d’un Centre de formation professionnelle pour les sortants des écoles coraniques, le projet pilote Waqf d’orphelinat public et le projet Waqf agricole de Dabia dans la région de Matam.
Comme vous pouvez le constater, ces projets Waqf publics portent sur deux volets à savoir : l’investissement (Waqf indirects) et le social (Waqf directs). Les Waqf d’investissement (immobilier, agriculture, eau et assainissement etc…) visent à créer des emplois et générer des marges au profit des couches vulnérables. Les Waqf sociaux (centres de formation, orphelinats publics, etc…) ont pour objet de prendre en charge directement les besoins et problématiques de la communauté. Ces dimensions vertueuses du Waqf montrent à suffisance la pertinence des choix stratégiques du Président de la République Macky Sall, mais également son attachement pour une finance sociale islamique davantage intégrée dans l’économie sénégalaise.
Quel bilan feriez-vous du Waqf au Sénégal depuis son institutionnalisation en 2015 ?
Après le vote de la loi relative au Waqf en 2015 et le démarrage des activités de la Haw en 2018, le bilan est satisfaisant. En effet, au cours des 4 dernières années, la Haw a mené des actions de communication et de sensibilisation auprès des acteurs et du grand public. Cette démarche de vulgarisation a eu pour résultat un dynamisme dans la constitution de Waqf d’envergure comme celui de la famille de Feu Abass Sall à Dakar à travers l’Ong Al Khayria, ainsi que d’autres initiatives visibles dans les régions de Thiès, Louga etc…
En outre, le Sénégal étant le premier pays de l’Afrique au sud du Sahara à se doter d’une loi sur le Waqf, la Banque islamique de développement (Bid) considère notre pays comme un hub pour la promotion et le développement du Waqf. A ce titre, certains pays de la sous-région à savoir le Niger, la Guinée, la Guinée Bissau, le Mali, la Gambie et le Cameroun, ont bénéficié de l’appui de la Haw dans le cadre de leur processus d’institutionnalisation du Waqf. Aujourd’hui, le Niger s’est doté d’une loi sur le Waqf et d’une Haute Autorité du Waqf. En outre, le Waqf immobilier Daara modernes est inscrit comme un projet pilote pour servir de modèle à d’autres pays, dans le cadre de la promotion du Waqf dans la sous-région.
Cependant, des défis importants devront être relevés par les équipes de la Haw. Il s’agit principalement du coût de la formalisation du Waqf ainsi que la rigidité de certaines dispositions de la loi relative au Waqf. Ces goulots sont en cours de résolutions notamment avec l’administration fiscale, la chambre des notaires et le Ministère de la justice. Le traitement diligent de ces problématiques majeures pour les constituants de Waqf, d’ici la fin de l’année 2022, permettrait assurément d’impulser une renaissance maitrisée du Waqf au Sénégal.
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Le gouvernement du Sénégal, à travers sa politique de lutte contre la pauvreté, la réduction des inégalités sociales, a ainsi exprimé sa volonté de promouvoir et de développer la finance islamique y compris la finance sociale islamique, et donc, a jugé nécessaire de promouvoir le Waqf au Sénégal en tant qu’outil de développement qui a montré son efficacité à travers le monde arabo-musulman.
Ainsi, la Haute Autorité du Waqf (Haw) est créée par la loi nº 2015-11 du 06 mai 2015 relative au Waqf, et par le décret nº 2016-449 du 04 avril 2016 fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Haute Autorité du Waqf. C’est une autorité administrative indépendante qui dispose de l’autonomie financière et de gestion.
La Haw est gérée par une direction générale placée sous la supervision d’une Commission dotée de compétences étendues en matière budgétaire, d’investissement, d’orientation et de contrôle.
Avec le décret n° 2019-910 du 15 mai 2019 portant répartition des services de l'Etat, la Haw est désormais rattachée au Secrétariat général du Gouvernement (Sgg).
Elle a trois missions principales. C’est d’abord de développer et d’administrer les Waqf publics et mixtes, ensuite de contrôler et de superviser les Waqf de famille et d’intérêt public et enfin, de promouvoir le développement des Waqf.
La finalité derrière son institutionnalisation consiste à trouver des sources de financement stables et permanentes pour subvenir aux besoins sociaux et économiques des couches vulnérables. Le Waqf vise aussi et surtout à consolider les valeurs de solidarité entre les différentes composantes de la société, afin de permettre au fidèle musulman de gagner la bénédiction de Dieu et ultimement sa place au Paradis.
Quels sont les enjeux liés à la loi et l’institutionnalisation du Waqf au Sénégal ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que notre pays a connu par le passé de grandes personnalités qui ont investis leurs biens dans le Waqf. C’est le cas de Serigne Mourtada Mbacké qui avait créé les instituts Al Azar pour l’enseignement islamique, classifiés au regard de loi comme un Waqf directs, car profitant directement à une catégorie de la communauté. Afin d’assurer une autonomie dans le fonctionnement de ces écoles, l’illustre fils du fondateur de la Muridiyya avait également mis en place une société de transport et des boulangeries, qui sont des Waqf indirects.
Plus loin encore, au début du siècle dernier, un traitant Saint-louisien du nom de Hamet Gora Diop avait, de son vivant, légué aux personnes vulnérables de sa ville un Waqf direct (Minbar), composé d’une mosquée, de logements sociaux gratuits pour les occupants, ainsi qu’un Waqf indirect (Ndeyou Minbar) portant sur un immeuble locatif pour prendre en charge le fonctionnement de Minbar. Les donations ont été formalisées auprès de Maitre Guillabert en 1907 et les Waqf sont, encore aujourd’hui, préservés par ces descendants.
D’autres formes de Waqf ont été identifiées dans la communauté Lébou de Dakar, dont les alleux réservaient dans leurs concessions des logements dédiés aux « dokhadeem » ou des hôtes plus fréquents. Ces logements étaient exclus du patrimoine en héritage à leurs décès.
Cependant, ces réussites parmi d’autre cachent beaucoup d’échecs liés à des héritiers qui dénoncent la qualité de Waqf des biens désignés par le constituant ou des gestionnaires qui en dévoient l’objet.
Partant de ces constats et du rôle majeur du Waqf dans le monde arabo-musulman comme vecteur d’inclusion socio-économique pour les couches vulnérables, l’Etat du Sénégal a choisi de promouvoir le Waqf dans notre pays. La vision stratégique du Président de la République Macky Sall a été de doter le Sénégal dès 2015 d’une loi qui assure une sécurité juridique aux vœux des constituants de biens Waqf. Une première en Afrique subsaharienne. Dorénavant, tout constituant de bien Waqf peux procéder à la formalisation de sa donation auprès d’un notaire. La Haute Autorité du Waqf est garante du respect des vœux du constituant, au regard des missions de contrôle et de supervision qui lui sont assignées par la loi relative au Waqf.
En définitive, l’institutionnalisation du Waqf au Sénégal vise à protéger les vœux du constituant, de son vivant comme après son décès, mais également à renforcer le dispositif de solidarité nationale.
Pour la plupart des Sénégalais, le Waqf reste encore nouveau. Que signifie concrètement ce concept ? Comment constituer le Waqf et quelles en sont ses différentes formes et caractéristiques ?
Le Waqf est l’immobilisation d’un actif et l’affectation de son usufruit à des œuvres de bienfaisance publique ou privée. Il s’agit d’une aumône volontaire à utilité perpétuelle autrement appelée (sadakha jaariya). Plus simplement, le Waqf peut être considéré comme une fondation de type islamique.
C’est une définition qui comporte plusieurs implications. D’abord, le constituant du Waqf est une personne physique ou morale propriétaire du bien licite. Ensuite, le bénéficiaire est toute personne physique ou morale capable de recevoir l’usufruit du bien Waqf. Enfin, le bien constitué en Waqf peut être un actif mobilier, immobilier ou monétaire/financier.
Toujours est-il que le bien légué par le citoyen sous le statut du Waqf devient inaliénable : il ne peut être vendu à quiconque, que ce soit par le propriétaire, ses héritiers ou l’Etat ; il ne peut être repris, ou être partiellement réservé au donateur. Le Waqf une fois constitué devient irrévocable, c’est à dire que le constituant ne peut se rétracter et les héritiers du donateur ne peuvent non plus remettre en cause le bien constitué Waqf.
En outre, le Waqf est généralement perpétuel dans le but d’assurer la régularité et la durabilité des services offerts aux bénéficiaires, et à la société (génération actuelle et future), mais il peut aussi être constitué pour une période donnée.
Par ailleurs, le constituant du Waqf tout comme le bénéficiaire peut être musulman ou non musulman. De même que le Waqf intervient dans tous les secteurs vitaux (éducation, santé, agriculture, autonomisation et infrastructures).
Cela nous permet de rappeler qu’il y a quatre types de Waqf : public, privé ou de famille, mixte ou d’intérêt public.
La constitution d’un Waqf se fait par une personne physique ou morale ayant un objet licite, propriétaire du bien. Quant à la formalisation, elle dépend de l’initiateur. Ainsi, les Waqf créés par l’Etat ou ses démembrements se font par décret. Les autres types de Waqf sont établis par acte notarié ou acte sous seing privé déposé au rang des minutes d’un notaire avec reconnaissance d’écritures et de signatures. En plus de l’acte notarié, les Waqf immobiliers sont inscrits au livre foncier.
Quels sont les droits et obligations du constituant du Waqf ? Qu’en est-il pour le bénéficiaire ? Existe-t-il des clauses de nullité du Waqf ? D’abord, il faut retenir que le constituant doit désigner le bénéficiaire ou l’œuvre devant bénéficier de la jouissance du bien Waqf, lorsqu’il s’agit d’un Waqf privé ou de famille. Cependant, lorsque le bénéficiaire de ce Waqf n’est pas désigné, le bien devient un Waqf public de plein droit.
Ensuite, le constituant n’est pas tenu à la garantie d’éviction du bien constitué Waqf, ni à la garantie de ses vices rédhibitoires vis-à-vis du bénéficiaire. Toutefois, il est tenu responsable de tout acte intentionnel ou faute grave qu’il commet et qui a causé un dommage au bien constitué Waqf.
En ce qui concerne le bénéficiaire, il peut être déterminé par sa personne ou par sa qualité au moment, ou après la constitution du Waqf. Son acceptation doit être exprimée de manière expresse ou tacite dans les conditions définies pour l’entrée en possession, par la présente loi.
En outre, le bénéficiaire est en droit de se servir du bien constitué Waqf et de l’exploiter suivant la stipulation du Waqf, et ce dans le respect des finalités du Waqf. Il peut également jouir lui-même du bien ou en céder le droit de jouissance aux tiers, à moins que le droit au Waqf ne soit exclusif à sa personne. Néanmoins, si le Waqf porte sur un immeuble, le bénéficiaire peut jouir de tous les droits affectés à l’immeuble et de tout accessoire qui s’y unit et s’y incorpore. Il a aussi la possibilité d’affecter des droits réels à l’immeuble, lui procurant une plus-value.
Il a par ailleurs, l’obligation de veiller à la conservation du bien constitué Waqf en bon père de famille. Par conséquent, il est responsable des dommages causés au bien par sa faute, sa négligence ou son imprudence, mais aussi de ses manquements aux obligations de la garde.
Dans un contexte sécuritaire marqué par des risques de blanchiment des capitaux, comment s’assurer de la licéité des fonds et biens cédés à la Haw?
Il convient de rappeler que la Haute Autorité du Waqf est une autorité administrative indépendante rattachée au Secrétariat général du Gouvernement du Sénégal, qui par ailleurs, est partie prenante à toutes les organisations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, notamment le Groupe d’action financière (Gafi), le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (Giaba) et la Cellule nationale de traitement de l’information financière (Centif). Cette dernière occupe une place centrale dans le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (Lbc/Ft) et la Haw qui peut recevoir des subventions d’autres organismes ainsi que des dons et legs est assujetti au contrôle et à la supervision de la Centif.
Par ailleurs, la Haw est soumise à un contrôle de conformité des principes qui gouvernent le Waqf à travers un Conseil de conformité chariatique.
Mais au-delà des assurances quant à la licéité des donations en faveur des projets Waqf gérés par la Haw, il importe de préciser que l’institutionnalisation du Waqf dans notre pays devrait être analysé comme une réponse supplémentaire dans le dispositif de Lbc/Ft. En effet, cette option de l’Etat du Sénégal à travers : la formalisation du Waqf auprès d’un notaire, le contrôle et la supervision assuré par la Haw, la vulgarisation du Waqf auprès des fondations comme instrument d’autonomisation participe à assainir un secteur important, tout en veillant à intégrer davantage d’acteurs de la solidarité.
Dans votre plan d’actions prioritaires, il est envisagé de mener des actions de sensibilisation et d’information de masse. Pouvez-vous décliner les grands axes de ce programme et le public cible ?
Les années précédentes, notamment 2020 et 2021 étaient marquées par la pandémie Covid 19 et ses conséquences, ce qui n’a pas permis de consolider les avancées dans le domaine de la communication. Ainsi, il a été nécessaire pour la gestion 2022 d’intensifier la sensibilisation et la communication.
A cet égard, la Haute Autorité du Waqf a eu à animer des ateliers de sensibilisation et d’échanges sur le Waqf à l’endroit, notamment des imams et prédicateurs, des quatorze Agences régionales de développement (Ard) en relation avec l’Adm et organiser un colloque scientifique sur le Waqf en collaboration avec l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar sur le thème : « Le Waqf au Sénégal : opportunités d’une croissance inclusive et d’un développement durable ».
Au titre du second semestre 2022, un atelier de sensibilisation sur le Waqf a été déjà organisé à l’endroit des agents du Ministère chargé des Finances, du Ministère de l’Economie et des ministères sectoriels. Cet atelier avait pour objectif de renforcer les capacités en matière de Waqf des agents de ces ministères impliqués dans la structuration de projets du Pse, afin de leur permettre de jouer leur partition pour le développement du Waqf au Sénégal.
Il est également prévu d’organiser une série d’ateliers notamment :
avec les notaires, le 26 juillet 2022, car la loi sur le Waqf prévoient que les actes de constitution des Waqf autres que publics doivent se faire sous forme d’acte notarié ou d’acte sous seing privé enregistrés au rang des minutes du notaire ; avec les juges aussi , le 11 août 2022, du fait que le bien objet du Waqf est dans le champ du commerce juridique et, à ce titre, il peut faire naître des contestations et ainsi donner lieu à des contentieux que les tribunaux seraient amenés à connaître ; Il en sera ainsi avec le Conseil économique social et environnemental (Cese), le 26 août 2022 ; et avec l’Assemblée nationale, le 8 septembre 2022.En effet, il est important de sensibiliser les députés de la prochaine législature sur le Waqf en vue de faciliter l’adoption de la loi sur le Waqf qui est en cours de révision ; enfin un atelier avec la fédération nationale des Daaras et maitres coraniques ainsi que les familles religieuses pour une vulgarisation de masse à l’endroit d’acteurs de l’éducation religieuse des populations est également prévu.
L’objectif visé à travers ces activités de communication sur le Waqf est d’abord de permettre aux populations et entreprises de mieux appréhender les enjeux socio-économiques liés au Waqf, et de prendre conscience de leur rôle pour le succès de cet instrument dans notre pays, et ensuite de permettre à la HAW de jouer le rôle de pionnier dans la sous-région.
Il faut également préciser que ce plan de communication cible également d’autre catégories socio-professionnelles à savoir : les journalistes économiques, les élus locaux, le secteur privé, la société civile, les communicateurs traditionnels et les leaders d’opinion.
Certains acteurs de l’écosystème proposent plutôt des stratégies d’investissements durables et rentables pour une viabilité du Waqf. Pensez-vous à intégrer cet aspect ?
Ce qu’il faut savoir c’est que les institutions en charge des Waqf sont considérées comme des investisseurs. Par conséquent, l’importance du Waqf dans l’économie s’apprécie en termes de volume d’actifs contrôlés par les Waqf, de leurs dépenses sociales, du nombre de personnes qu’elles emploient, ainsi que de leur contribution significative au développement économique.
C’est pourquoi cet aspect a été intégré dès l’institutionnalisation du Waqf dans notre pays. En effet, la Haw est un investisseur public en matière de Waqf. Elle assure cette fonction pour le compte de l’Etat du Sénégal. A ce titre, la Haw gère plusieurs projets parmi lesquels le Waqf immobilier Daara moderne au centre-ville de Dakar composante du Programme d’appui pour la modernisation des Daara (Pamod), le projet Waqf immobilier à usage mixte de Diamniadio pour la prise en charge des enfants en situation de vulnérabilité, le projet Waqf immobilier de bureau au centre-ville de Dakar pour les cantines scolaires, le projet de construction d’un Centre de formation professionnelle pour les sortants des écoles coraniques, le projet pilote Waqf d’orphelinat public et le projet Waqf agricole de Dabia dans la région de Matam.
Comme vous pouvez le constater, ces projets Waqf publics portent sur deux volets à savoir : l’investissement (Waqf indirects) et le social (Waqf directs). Les Waqf d’investissement (immobilier, agriculture, eau et assainissement etc…) visent à créer des emplois et générer des marges au profit des couches vulnérables. Les Waqf sociaux (centres de formation, orphelinats publics, etc…) ont pour objet de prendre en charge directement les besoins et problématiques de la communauté. Ces dimensions vertueuses du Waqf montrent à suffisance la pertinence des choix stratégiques du Président de la République Macky Sall, mais également son attachement pour une finance sociale islamique davantage intégrée dans l’économie sénégalaise.
Quel bilan feriez-vous du Waqf au Sénégal depuis son institutionnalisation en 2015 ?
Après le vote de la loi relative au Waqf en 2015 et le démarrage des activités de la Haw en 2018, le bilan est satisfaisant. En effet, au cours des 4 dernières années, la Haw a mené des actions de communication et de sensibilisation auprès des acteurs et du grand public. Cette démarche de vulgarisation a eu pour résultat un dynamisme dans la constitution de Waqf d’envergure comme celui de la famille de Feu Abass Sall à Dakar à travers l’Ong Al Khayria, ainsi que d’autres initiatives visibles dans les régions de Thiès, Louga etc…
En outre, le Sénégal étant le premier pays de l’Afrique au sud du Sahara à se doter d’une loi sur le Waqf, la Banque islamique de développement (Bid) considère notre pays comme un hub pour la promotion et le développement du Waqf. A ce titre, certains pays de la sous-région à savoir le Niger, la Guinée, la Guinée Bissau, le Mali, la Gambie et le Cameroun, ont bénéficié de l’appui de la Haw dans le cadre de leur processus d’institutionnalisation du Waqf. Aujourd’hui, le Niger s’est doté d’une loi sur le Waqf et d’une Haute Autorité du Waqf. En outre, le Waqf immobilier Daara modernes est inscrit comme un projet pilote pour servir de modèle à d’autres pays, dans le cadre de la promotion du Waqf dans la sous-région.
Cependant, des défis importants devront être relevés par les équipes de la Haw. Il s’agit principalement du coût de la formalisation du Waqf ainsi que la rigidité de certaines dispositions de la loi relative au Waqf. Ces goulots sont en cours de résolutions notamment avec l’administration fiscale, la chambre des notaires et le Ministère de la justice. Le traitement diligent de ces problématiques majeures pour les constituants de Waqf, d’ici la fin de l’année 2022, permettrait assurément d’impulser une renaissance maitrisée du Waqf au Sénégal.
Lejecos Magazine